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Cette scène représente une étape importante dans les relations tendues entre Savitskaya et François Trévise. Elle permettait également de montrer les fonctions particulière des transponds pour les militaires.



 

Les deux parents Trévise pénétrèrent dans le carré du Shtandart en affichant une même expression de détermination furieuse. Savitskaya se leva pour les intercepter :

— Pas ici. Suivez-moi.

Ils venaient certainement d’apprendre la nouvelle qu’elle connaissait depuis une heure et il ne lui semblait pas nécessaire de partager la conversation qui allait suivre avec le reste de l’équipage. Sa cabine restait encore le meilleur endroit pour discuter, quitte à enrichir les rumeurs qui circulaient déjà depuis l’arrivée des deux Terriens.

— Cette histoire est totalement hors de contrôle, dit Nicole avant même que la porte ne se referme. Je veux parler à Théodoros, immédiatement !

Savitskaya n’y voyait aucun inconvénient. Autant laisser le vieil homme se débrouiller avec ce qui était, après tout, ses affaires. Elle activa le terminal pour ouvrir une communication.

— Même s’il est disponible, il y aura un délai de quelques secondes, à cause de la distance.

— Où se trouvent Richard et Sophie ? demanda Nicole.

— Ils sont sains et saufs.

— Mais que s’est-il passé ? insista François. Ce n’est quand même pas votre gouvernement qui…

— Niet, le Conseil Exécutif n’y est pour rien. L’enquête n’est pas terminée, mais il est probable que le robot tueur venait de la Terre.

Un signal sonore l’interrompit. Ils se retournèrent vers l’écran où un visage familier venait d’apparaître.

— Théodoros, commença Nicole, que…

Elle lut le message « délai de transmission : 2.5 secondes ». Le Lagrangien semblait fatigué. Après une pause qui parut interminable, il inclina brièvement la tête :

— Bonsoir mes amis.

— Je ne vois pas ce que la soirée a de bon, rétorqua Nicole. Jusqu’à présent, nous avons suivi vos conseils. Je commence sérieusement à le regretter.

Il y eut une longue pause en attendant que les messages effectuent l’aller-retour.

— Mmm, je comprends que vous soyez choqués. Je ne voudrais pas minimiser cet incident, cependant je ne vois pas la relation qu’il pourrait y avoir avec... nos autres difficultés.

L’inquiétude des deux Trévise transpirait dans chacun de leurs gestes, et la nécessité de se soumettre aux lois de la physique augmentait leur énervement. Dans une conversation, deux fois deux secondes et demie de pause systématique, c’est très long.

— Vous pensez qu’il s’agit d’une coïncidence ? dit François.

Pause.

— Je ne sais pas, mais je vois encore moins l’avantage qu’il pourrait y avoir à s’attaquer à vos enfants.

— Où sont-ils, maintenant ? demanda Nicole.

Pause.

— Ils ne sont plus à bord de la station. Mmm, je les ai placés sur un vaisseau commercial spatieux.

— Quoi !

François et Nicole avaient parlé en même temps. François fixa le Lagrangien d’un regard dur :

— Expliquez-vous.

La pause parut beaucoup plus longue que les précédentes. Théodoros afficha une expression d’agacement :

— Nous en avions convenu, souvenez-vous. Je devais les mettre en sécurité. Une opportunité s’est présentée et je l’ai saisie au vol, avec toutes les garanties bien sûr. Mmm, je vois bien que cela vous déplaît. Pourtant, je continue de penser que c’était la bonne décision à prendre.

Nicole secoua la tête avec horreur :

— Oui, mais après cet attentat… Théodoros, ils ne savent rien de l’espace. Il faut arrêter ça !

Sa voix tremblait, à la limite de l’hystérie. François ouvrit la bouche et dressa un doigt menaçant à l’adresse de l’écran. Malgré son désir de rester à l’écart, Savitskaya comprit qu’il était temps d’intervenir :

— Théodoros a eu raison, affirma-t-elle. Écoutez, pour le moment nous ne savons pas grand-chose, mais…

— Vous nous tiendrez au courant de tout ce que vous apprendrez, coupa François.

Le début de sympathie de Savitskaya vis-à-vis des Trévise s’évapora immédiatement. Ses yeux se plissèrent :

— Chyort ! Depuis quand êtes-vous autorisé à me donner des ordres ?

— Ce sont nos enfants, rétorqua-t-il en haussant le ton, et ce qui est arrivé est de votre responsabilité.

— Da, et nous l’assumons, contrairement à vous. Personne ne vous a demandé de quitter la Terre, monsieur Trévise.

Elle avait automatiquement activé les fonctions d’assistance au combat du transpond. Le Terrien mesurait une tête de plus qu’elle et sa force physique ne faisait aucun doute, sans que cela ne l’inquiète en rien. Le calme glacé des endorphines coulait dans ses veines. Sa vision bascula en fausses couleurs, mettant en évidence l’afflux de sang associé à la colère. Une symbolique de prédiction des principaux groupes de muscles de son adversaire clignotait devant ses yeux. S’il décidait d’agir, le changement se verrait immédiatement.

— Arrêtez ça, tous les deux ! s’exclama Nicole. François !

Il ne bougea pas, même si sa tension artérielle diminua légèrement.

— Vous devriez écouter votre femme, monsieur Trévise. Votre présence embarrasse déjà suffisamment le Capitaine. Je suis sûr qu’il serait ravi de vous consigner dans votre cabine jusqu’à la fin du voyage.

Aucun des deux n’était disposé à s’incliner le premier. Les secondes s’écoulèrent lentement jusqu’à ce que la voix de Théodoros se fasse entendre :

— Savitskaya, François. Cet affrontement est parfaitement contre-productif. Je n’ai aucune intention de vous cacher la vérité. Même si la situation présente est difficile, nous ne pourrons certainement pas l’améliorer en nous disputant.

Savitskaya suivit les signes de diminution de la colère du Terrien. Il se contrôlait mieux, désormais. Elle vit son regard glisser un instant vers le transpond et sa mâchoire se raidir. Il devait bien savoir une ou deux choses sur ses capacités.

En tout cas, il n’a pas peur.

— Que proposez-vous ? demanda François sans la lâcher des yeux.

— Il n’y a rien à faire pour le moment, répondit Théodoros après la pause inévitable. Je vous rappelle que vos enfants sont en sécurité. Mmm, écoutez, je vous promets de suivre l’avancement de l’enquête de mon côté.

— Bien, admit Nicole d’une voix lasse. Je comprends qu’on ne puisse pas vous demander plus. Je vous remercie, Théodoros.

Savitskaya coupa la transmission. François lui lança un dernier regard, avant de quitter le bureau derrière sa femme. L’officier attendit que la porte se referme avant de mettre fin à l’ajustement endocrinien. Le contrecoup lui arracha un gémissement et elle se laissa tomber dans un siège. Les militaires connaissaient bien cet inconvénient de la fonction d’amplification temporaire, et même si le Terrien finissait par l’apprendre lui aussi, Savitskaya n’avait pas l’intention de s’humilier en lui en faisant une démonstration aussi dramatique.