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Parmi les personnages dont la présence a été réduite dans la version finale, il y a le capitaine Huckleberry. Celui-ci possédait également un frère, Franklin, ambassadeur d’Eloane auprès des autorités terriennes (lui a complètement disparu du roman, ainsi que l’Amiral Petrov évoqué ici, mais remplacé par Penthésilée dans le livre). Voici deux scènes au moment où les parents Trévise et Savitskaya embarquent à bord de la frégate Shtandart, grâce à l’influence de Théodoros.



 

 

Le Capitaine Huckleberry ne cachait pas sa mauvaise humeur. Pendant des années, il avait rêvé de sa première prise de commande à bord d’un vaisseau de ligne. Même s’il pouvait espérer d’autres promotions et d’autres responsabilités, rien ne serait comparable à l’acte suprême de devenir le Capitaine d’un astronef, le seul maître à bord après Murphy.

Et ces margoulins de politicards viennent me le gâcher.

Passe encore pour le remplacement inopiné de son officier. On pouvait même dire que ce genre de cafouillage relevait des grandes traditions militaires. Par contre, ces deux ’consultants civils’, ça c’était n’importe quoi. Sans parler de l’origine de l’ordre, plutôt inhabituelle : il venait directement du bureau de Petrov, Grand Amiral Petrov ! Après avoir lu le message, il s’était demandé si le vieil homme n’était pas subitement devenu sénile. Franklin l’avait appelé juste après :

— Prêt à partir, Huck ?

— Tu rigoles ? Je serais parti hier, s’il n’y avait pas eu ce contre-ordre stupide. Je passe des mois à former un officier tacticien et on me le remplace à la dernière minute.

— Je sais et on t’a demandé de prendre deux civils.

L’exigence de sincérité des Lagrangiens n’est pas toujours conciliable avec les contraintes de confidentialité qui incombent à un militaire. Franklin plissa douloureusement des yeux lorsque la communication du transpond se coupa avec la brutalité d’une porte qui se claque.

— Confidentiel, Frank.

— Grand amiral Petrov. Je suis au courant, je te dis. Pourquoi crois-tu que je t’appelle ?

Huckleberry hésita. Franklin disposait d’excellents contacts, à la fois au Conseil Exécutif et dans la hiérarchie de TransSec.

— Qu’est-ce que tu veux me dire ?

— Les deux civils sont des Terriens. Ce n’est pas indiqué sur l’ordre de mission. De toute façon, celui-ci n’est destiné qu’à te couvrir.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Franklin soupira et Huckleberry nota les cernes sous ses yeux. Lui aussi, il avait suivi les péripéties de la conférence.

— Ce n’est pas utile que tu en saches trop. Je te préviens seulement pour que tu ne sois pas surpris.

— Ils n’ont aucune expérience de l’espace, c’est ça ?

Sa colère montait au fur et à mesure qu’il réalisait la situation. Des Terriens à bord d’un bâtiment de guerre.

À bord de mon vaisseau !

— Je ne pense pas, répondit Franklin. Par contre, quelqu’un que je connais bien se porte garant d’eux. Écoute, Huck. Tu n’as rien d’autre à faire que de les garder à bord. Ton nouvel officier est au courant. C’est un service personnel qu’on te demande et des gens importants ne l’oublieront pas.

Huckleberry serra les mâchoires. Franklin avait pris ce ton qui disait : je sais mieux que toi et ne cherche pas à comprendre ou à compliquer les choses. Ce n’était pas la première fois et ça l’avait toujours énervé.

— Frank…

— Je t’expliquerai quand je le pourrai, Huck.

Les deux frères se fixèrent un instant. Il n’y avait rien d’autre à dire, et aucune alternative non plus.

— L’explication aura intérêt à être bonne, Frank. Vraiment intérêt !

 

*        *    *

 

Claquer des talons avec des chaussures spatiales, et en état de quasi-apesanteur, n’était pas une chose facile. Huckleberry dut admettre que son nouvel officier s’en sortait d’une manière plus qu’honorable.

— Lieutenant Savitskaya, annonça-t-elle. Mes respects, Capitaine.

Au moins, on lui avait envoyé un vrai soldat. Cela se voyait du premier coup d’œil et son dossier le confirmait. Beaucoup d’émigrés slaves rejoignaient TransSec. En général, ils étaient appréciés.

— Repos, lieutenant.

Toute la paperasserie était en règle, évidemment. Il ne lui proposa pas de s’asseoir, tout simplement parce que cela ne présentait aucun intérêt en apesanteur.

— C’est votre première affectation à bord d’un astronef ? ajouta-t-il.

— Oui, Capitaine.

— Hum, vous n’avez pas beaucoup d’expérience dans le commandement de troupes. Ici, vous serez directement responsable de la section des marines, des deux intercepteurs, et de nos systèmes d’armes et de contre-mesures. L’officier que vous remplacez vient de passer six mois à superviser la refonte de ce vaisseau.

Il guetta sa réaction devant le message implicite qu’elle allait devoir travailler dur et sérieusement se mettre à niveau pour y arriver.

— Il n’y aura pas de problème, Capitaine.

Sa voix était solide. Le flux émotionnel du transpond ne trahissait aucun trouble, juste une légère suggestion de mécontentement en arrière-plan. La même qu’il devait projeter lui aussi, sans doute.

— Vous êtes montée à bord avec nos passagers civils.

— Affirmatif.

L’arrière-plan d’agacement augmenta un très court instant, avant de s’atténuer. Huckleberry la fixa droit dans les yeux :

— Lieutenant, je suis au courant de leurs… particularités. Sachez que cela me déplaît profondément.

— Je suis désolée, Capitaine.

— Et vous le serez encore plus s’ils causent le moindre problème. Je vous tiens personnellement responsable d’eux, en plus de vos autres attributions. Dites-leur de se tenir tranquilles et racontez ce que vous voulez au reste de l’équipage. C’est clair ?

— Parfaitement clair, Capitaine.

Il avait vidé son sac et il se sentait mieux, presque jusqu’à ressentir de la sympathie pour elle. C’était évident que cette histoire ne lui plaisait pas non plus. Il hocha la tête :

— Dans ce cas, tout se passera bien entre nous. Je vous souhaite la bienvenue à bord, lieutenant Savitskaya.